Ca va être ma fête ! Jour 7 [Jane]

Je n’avais eu aucun mal à trouver son appartement. Son odeur délicate et pénétrante m’avait guidée comme un phare. Je l’avais humée à m’en rendre assoiffée. Pour mon plus grand plaisir il s’était lavé, ajoutant à sa fragrance des embruns de fraicheur auquel j’avais hâte de gouter.

Pourtant, il me fallait reprendre contenance. Je ne devais pas le tuer. Mais j’étais une sanguinaire. Résister au sang résultait du prodige pour l’un d’entre nous. Sauf, que je suis Jane. Et que je me savais capable de me dépasser. La volonté en moi m’avait toujours guidée. Ma force et ma détermination aussi.

J’étais de cette race qui ne pli pas. Même lors de mes jours humains. Bien que leur tristesse me laissait un goût amer dans la bouche.

Je chassais cette idée.

Lorsque l’humain me vit la peur sur son visage le rendit plus beau qu’il ne l’était déjà. J’aurais adoré goûter à son sang en lui prenant les lèvres puis en les lui mordant. Je me fis violence à nouveau.

*Un autre fera ton festin Jane, un autre ! *

Pourtant il était d’autant plus désirable qu’une vampire végétarienne l’aimait.

Je m’avançais. Il se figea.

-C’est cela que tu cherchais n’est ce pas ? murmurai-je de ma voix chantante en levant le papier plissé que je venais de dérober.

Il ne répondit pas, paralysé par la peur.

Je riais doucement.

-Je ne suis pas un fantôme…Je suis, ton nouveau destin…

Elle sortit de l’ombre et j’en fus paralysé. Elle semblait jeune. Une gamine d’une quinzaine d’années. Avec un visage pâle et figé dans une notable beauté, qui n’avait rien d’enfantin. Ses cheveux auréolaient son visage d’une étrange façon.

Elle me rappelait quelqu’un… Mais je n’arrivais pas à clarifier mes idées. Elle était effrayante. Ses yeux noirs me fixaient comme proie. Elle ressemblait à l’une de ces apparitions dans les films d’horreurs.

Que venait-elle faire ici ? Comment était-elle entrée ?

Lorsqu’elle parla la certitude de sa voix me glaça le sang.

Elle tendit le papier avec un geste empli d’une grâce qui n’était pas sans m’en rappeler une autre. Sélène. Se connaissaient-elles ? Etaient-elles de la même parenté ? Etait-ce le risque dont elle me parlait ?

C’était à croire car la jeune fille était effrayante.

-Comment es-tu rentrée ? demandai-je en essayant d’y mettre de l’aplomb.

Après tout ce n’était qu’une enfant.

-Si tu ne veux pas avoir d’ennuis, je te conseille de partir et je ne dirais rien à la police.

J’explosais de rire.

-C’est bien qu’on se tutoie déjà, murmurai-je en reprenant d’un trait mon sérieux.

Je le voyais trembler. Son cœur déferlait et le sang affluait. Oh, le sang…Comme j’en avais envie…

J’arrêtais de jouer les humaines, ce dont je me forçais depuis que j’avais quittée Volterra et je cessais de respirer. Aussitôt, son odeur cessa de ma chatouiller la gorge. Bien que son souvenir demeurait alléchant au possible.

Je m’avançais vers lui. Il n’osait plus rien dire. Son instinct commençait sûrement à l’avertir.

-Cette fille que tu as rencontrée aujourd’hui, cette fille dont tu es amoureux, n’est pas une humaine. Et si tu veux pouvoir l’aimer un jour…il faudra que tu deviennes comme elle.

Ce n’était pas un jeu. Ce n’était pas une enfant. C’était autre chose.

Je déglutis difficilement.

-Alors, qu’est ce qu’elle est ?

La fille ne répondit pas tout de suite. Elle s’avança vers moi. A la lueur de la petite et unique lampe que j’avais laissée allumée, je vis passer dans ses yeux un reflet cramoisi.

Effrayé je reculais d’un pas contre le froid de la vitre.

Un démon ?

-Elle est ce que je suis, continuai-je consciente de l’effroi que produisait mon regard sur lui. Elle n’est pas vivante.Car morte déjà depuis longtemps.

Je m’approchais de lui et tendait vers son bras l’une des mes mains pâles.

-Froide et dure comme de la pierre, ronronnai-je, plus belle que l’irréel, plus forte aussi que tu ne pourrais l’imaginer.

Je m’approchais encore plus de lui. M’amusant royalement. C’était la chose la plus interdite qui soit. Révéler notre nature à un humain. Et moi, une Volturi, violait cette règle à merveille. Mais Aro comprendrait. Il comprendrait pourquoi un tel plan. Il me connaissait assez pour cela.

Je glissais mes doigts de lumière dans le cou de l’humain. Sa chaleur inonda ma peau de marbre. Tapissant mon bras de frisson de plaisir. J’entendais sa glotte se soulever. Les battements de son cœur déferler. Le désir de son sang empoigna mon corps. Mais je gardais mon odorat scellé. Son odeur aurait été le coup de grâce.

Ses yeux étaient figés par la panique que causait notre proximité.

Je me hissais sur la pointe des pieds et plaçais mes lèvres tout près de son cou. La tiédeur qui s’en dégageait me caressa les lèvres.

-Et…elle se nourrit…de sang…

J’étais figé de terreur. Le corps entier parcouru de frissons convulsifs. Elle s’était glissée si près de moi, comme un fantôme, glaciale comme une…morte…Eblouissante, comme un astre.

Mon corps tremblait.

Du sang. Un vampire ? Etait-elle en train de me dire qu’elle était un vampire ? Et que par la même occasion, Sélène en était un aussi ?

Une part de moi voulait rire. Exploser de rire. J’avais envie et besoin de ne pas y croire et de m’exclamer : « C’est bon ma jolie, où est la caméra cachée ? »

Mais mon corps me criait qu’elle disait vraie. Qu’elle n’avait jamais été aussi sincère. Je le savais car aucune présence ne m’avait donné l’impression d’être un aliment avant ce jour. Or, en cet instant, j’avais envie de fuir le plus loin possible. Elle voulait mon sang.

C’était indéniable.

*Non, Ben, tu deviens fou, les vampires, ce sont des légendes, des histoires pour adolescents !*

Ses lèvres papillonnèrent près de ma gorge. J’avalais ma salive de travers. Je n’étais pas fou. Mais par contre, j’allais mourir.

-C’est impossible, finis-je par murmurer malgré moi.

Impossible ? Il avait raison. Il devenait impossible que je puisse résister plus longuement. J’imaginais déjà le sang couler dans ma gorge.

*Jane ressaisit toi, tu es plus forte que ça !*

En effet.

Il était tant de lui prouver. Et un bon bol d’air frais nous ferait du bien…

Je lui souriais.

-Alors laisse-moi te montrer l’impossible.

Aussitôt je le soulevais par la taille et le jetai sur mon dos.

Si j’étais petite, je n’en étais pas moins forte. Si puissante que son poids n’eut aucun effet sur moi, ni ses jambes qui se débattirent.

J’ouvrais la fenêtre et sautait.

D’une main je me rattrapais à toutes les encoches possibles du mur. Le froid me giflait en me revigorant. Me faisant oublier la chaleur qu’éveiller en moi la soif. J’aspirer l’air pour éteindre sans résultat le feu de ma gorge.

Benjamin criait.

Enfin nous fûmes en bas. Mais cette satanée ville ne dort jamais. Je fusais si rapide qu’aucun humain ne pourrait nous voir mais prenant toutefois soin d’emprunter de petites ruelles.

Une vieille baraque délabrée dans un coin malfamé de Seattle me paraissait tout à fait adéquate.

Je nous enfermais soigneusement dans la cave et déposais mon bel humain par terre.

Je m’accroupissais face à lui.

Il était pâle comme un linge et une énorme bosse poussait sur son crâne.

-Désolée de t’avoir secoué, ricanai-je, maintenant, tu me crois n’est ce pas ?

-Qu’attend-tu de moi ? me demanda-t-il apparemment résolu au pire.

-Je suis venue te proposer un marché.

Je m’asseyais plus confortablement, du moins ce qui pouvait le paraitre pour un humain. Je devais changer ma tactique. L’effroi n’était pas un bon moteur. Je ne voulais pas qu’il me craigne.
Je commençais à jouer avec l’une de mes boucles. J’avais vue une humaine le faire dans la journée. Et j’avais adoré l’air innocent que cela exhalait.

-Tu aime cette fille. J’en suis persuadée. Et moi, j’ai besoin d’un allié. Alors je te propose de devenir comme moi. Enfin comme elle. Immortel, fort…

Et mort…Sans compter buveur de sang, pensai-je.

Que voulait cette créature réellement ? Pourquoi moi précisément ? N’essayait-elle pas plutôt de me manipuler pour me tuer ? Non, elle était bien trop forte, elle n’avait pas besoin de cela. En un clin d’œil elle pouvait me régler mon compte. Mais alors pourquoi ? J’étais totalement perdu.

J’avais beau aimer Sélène, je ne pouvais me permettre de vouloir la rejoindre dans son immortalité monstrueuse sans lui avoir parlé. Peut-être que cette fille était une ennemie justement. Mais pourquoi Sélène n’était-elle pas venue ?

-Pourquoi as-tu besoin d’un allier ?

-Je suis seule, minaudai-je, je suis un jeune vampire. J’ai besoin de quelqu’un qui puisse se battre à mes côtés contre ceux qui m’ont fait du mal. Et je sais que tu as besoin d’être vampire. Nous nous y retrouverons.

Je le regardais en prenant un air suppliant. Puis je me souvenais que ça ne me ressemblait pas du tout.

Et je n’étais pas convaincante. Je commençais à être épuisée par mon propre petit jeu. Jane n’était pas du genre à supplier un humain. Et puis mince alors. Je me levai et me glissai tout près de lui.

-Tu comprendras quand tu seras comme moi, murmurai-je, et tu me remercieras.

Il me regarda tétanisé. Enfin, j’allais pouvoir gouter à son sang. Pourtant, je me retins d’humer son odeur. C’était un trop grand risque. Je ne devais m’en nourrir. Pas après m’être donnée autant de mal.

*Chacun s’y retrouvera ?*

Elle avait une drôle conception d’un marché équitable !

*La remercier ?*

Elle s’approcha, j’étais paralysé par la peur.

-Je t’en supplie ne fais pas ça ! m’exclamai-je en reculant. Je ne veux pas ! Je ne peux pas ! J’ai une vie, des amis, une famille !

C’était un peu faux. Mes amis n’en étaient pas et je n’avais pas revu ce qui me restait de parenté depuis des lustres. Mais, j’avais des raisons d’avoir peur.

-Je t’en supplie !

-L’ennuis mon cher, m’amusai-je, c’est qu’il est trop tard. Je t’ai révélé mon secret. Par conséquent, si je ne fais pas de toi l’un des nôtres. Tu me feras office de repas ! C’est à toi de choisir.

Le choix n’était d’ailleurs pas si clair. Essayer de le transformer n’assurait pas la victoire. J’avais tellement envie de son sang…

J’étais donc condamné. Ma vie s’était arrêtée à l’instant où cette créature était entrée dans mon appartement.

Non, bien avant ! Quand j’avais rencontrée Sélène. Après tout, peut-être que cette fille avait raison, peut-être y trouverais-je mon compte.

J’allais devenir immortel. Cette idée me paraissait impossible. Même risible. J’avais l’impression d’être rentrée dans un film fantastique. De toute façon, je n’avais pas le choix.

On m’avait choisit. Ainsi les choses devraient-elles se faire.

Je repensais à mon passé. Peut-être, aussi fou que cela puisse paraitre, était-ce mon dernier instant d’humanité. Peut-être ne serais-je plus jamais le même.

Je repensais à ma mère, ce jour où elle m’avait serré dans ses bras en me couvrant de baiser parce que j’avais disparut dans le centre commercial.
Je repensais à mon père, cette fois où il me suivait en courant dans le jardin de mon enfance, criant qu’il était le grand méchant loup.
C’étaient des souvenirs merveilleux. Je me rappelle combien je riais. Combien j’étais innocent. Combien j’étais heureux.

Pourquoi ces instants d’enfance me revenaient-il maintenant ? Etait-ce ma façon de voir ma vie défiler avant de le perdre ?

Je m’étais disputé à peu près avec tous les membres de ma famille. Mon père était mort. Ma mère vivait seule et je ne l’avais pas revue depuis cinq ans. J’eu mal soudain de ne pas avoir essayé.

Je ne les reverrais plus jamais.

-Est-ce que ça fait mal ?

Sa voix était devenue fluette. Comme celle d’un petit garçon. Résolu dans l’âme.

Je lui souriais puis j’haussais les épaules.

-En comparaison à ce que tu gagne non, expliquai-je. Mais, techniquement oui, c’est presqu’insupportable. Ce n’est que l’affaire de quelques jours.

Il me regarda désespéré. Je n’osais pas ajouter qu’il aurait de la chance si je ne le tuais pas.

Je m’approchais de lui. Silencieuse, avide. Essayant de mépriser à grande peine mon instinct.

-Je vais faire les choses en douceur d’accord ?

Je glissais mes lèvres sur sa joue. Puis sur les siennes. J’avais raison en pensant que ce serait un délice. Leur douceur me liquéfia. Je l’embrassais lentement. Laissant le désir de son sang et de son corps m’envelopper. Son cœur s’emballa. De peur ? De désir ? Sûrement les deux.

Sa salive avait un goût merveilleux. Le monstre en moi criait famine.

*Oh et puis zut, si je me contentais de le boire ?*

Déjà la soif prenait le dessus. Comment résister ?
Je passais mes mains froides dans ses cheveux noirs de jais. Il répondit tout à coup à mon baiser voracement.

Ses lèvres prirent les miennes. Effrayé je ne bougeais plus. Comment allait-elle s’y prendre ?

Son odeur se glissa dans mes narines. Une odeur raffinée qui me rappelait celle de Sélène sans toutefois l’égaler. Je fermais les yeux.

La froideur de sa bouche, de sa langue, était semblable à celle de Sélène. Un peu d’imagination et je pouvais voir celle que j’aimais.
Je pouvais me rappeler de son corps. De son sourire quand je la regardais avec insistance. De ses yeux miels. De ses lèvres à l’ourlet rose pâle. De son petit nez clair. De ses joues limpides. De ses cheveux châtains dorés. De sa gorge froide, dure et parfaite.

Les mains de la fille accrochèrent mes cheveux. Les miennes cherchèrent sur son corps les formes de Sélène. On pouvait les imaginer. Mais elle était loin de l’égaler. Je m’allongeais par terre, recouvert de son poids étouffant. Brulant d’imaginer Sélène.

-Je t’aime, m’entendis-je soupirer en oubliant que ce n’était pas elle.

La douleur fulgurante m’arracha un cri. Son poids m’empêcha de bouger mais je me débattis si violemment que j’entendis mes os craquer. Je m’étais cassé quelque chose contre son corps de marbre. Mais la douleur de la fracture n’égalait pas celle de la morsure.

La fille s’accrochait à moi comme une sangsue. Je sentais mon sang partir. Et si elle était aussi rapide à boire qu’à courir ce ne serait qu’une question de quelques secondes. La douleur ne partait pas mais moi si, des points blancs s’accumulaient dans mon champ de vision et je ne trouvais plus la force de bouger quoique ce soit.

C’était finit. J’étais en train de mourir.

Mais je l’avais dit. *Je t’aime Sélène*. Même si elle ne le saurait jamais.

C’était comme une vague aux effluves doucereuses. Elle tombait en moi comme un milliard d’étoiles, papillonnant dans chacun de mes membres pour me gonfler d’une force antique.

Le corps chaud et mou de l’humain sous le mien était comme un tapis de bien être. Ma bouche aspirait sa gorge avec une frénésie incontrôlable.

J’avais même oublié pourquoi je le mordais. J’essayais de laisser mes pensées refaire surface mais comme à chaque fois que je me nourrissais, tout devenait flou.

Son nom ? Quel était son nom ? Je l’avais vu dans son appartement.

*Benjamin, oui c’est ça Benjamin*

Si j’arrivais à me concentrais jusqu’à me souvenir de son nom je pouvais m’en détacher.

*Jane tu le peux, tu es la plus forte qui sois* me scandai-je.



Pourtant, la chaleur que je lui volais et qui coulais en moi me transcendait. Rien, rien hormis une puissante douleur n’aurait pu m’arrêter.

C’est à cet instant que j’eus l’idée.

J’avais déjà essayé de retourner mon pouvoir contre moi. Une fois. Il y a très longtemps. J’en gardais un souvenir mémorable. J’avais réussi. Une fraction de seconde, certes, mais suffisamment pour savoir.

Et la seule chose qui me venait le plus naturellement et le plus facilement du monde c’était l’utilisation de mon don.

Je me concentrai. Aussitôt la douleur torrentielle m’assena.

Je lâchais ma proie en criant. Aussitôt la douleur cessa. Je me levai et courrais vers la porte.

Autant fuir toute de suite, avant que le désir ne reprenne. Je sortais en refermant soigneusement à clef puis courrais dans la rue.

Le froid n’avait aucun effet sur le feu qui m’habitait. Je ne savais même pas si j’avais laissé assez de sang à Benjamin pour qu’il reste en vie.

Mais il était exclu que je retourne le voir. Je devais chasser. Maintenant. Tout de suite.